Carnet de voyages : au Nagaland, un village sur la frontière birmane

Les tables Naga s'inscrivent parfaitement dans la tendance rustique du moment. Bois brut, irrégulier, forme primitive, elles sont devenues des incontournables de tout intérieur wabi-sabi qui se respecte. Mais ces tables n'en ont pas toujours été, et finalement peu de gens savent qu'à l'origine, elles servaient de lits pour les populations tribales du Nagaland, leur permettant de s'isoler du sol de terre battue de leur maison.

Nous sommes partis au Nagaland fin 2023, à la recherche de témoignages de première main de l'utilisation de ces lits si caractéristiques par les populations Naga. Munis de notre permis d'entrée (l'équivalent d'un visa pour visiter certains territoires au sein de l'Inde) nous avons traversé la frontière, et mis les pieds dans la région des chasseurs de tête.

Suite de notre première journée au Nagaland

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Notre guesthouse est située en haut de la montagne, sur un plateau, construite juste à côté de la maison du roi des Anghs (le chef des chefs). C’est un bâtiment blanc aux fenêtres vertes, avec un petit jardin et encerclé par un grillage. À l’intérieur, la réception est faite de bambou et de feuilles de palme. La table à manger trône au milieu de la pièce, sur une table basse repose un gros livre sur les derniers chasseurs de tête tatoués du Nagaland.

Nous posons nos affaires et partons découvrir le village à pied. On commence par la maison du chef qui est juste à à côté. Sa particularité ? Elle est construite sur la frontière indo-birmane (ou peut-être la frontière indo-birmane a-t-elle été tracée sur la maison...). À gauche de l’entrée, le drapeau birman, à droite le drapeau indien, peints à la main. Le bâtiment est grand. La façade de l’entrée est recouverte de crânes de mitun, la vache locale semi-sauvage aux très grandes cornes. Le toit, refait récemment, est moderne et fait de métal. Dans la première pièce il n’y a pas grand-chose, quelques photographies et des décorations au mur, notamment des gongs, dont un très grand peint, d’autres crânes et une défense d’éléphant. Le silence règne. Un long couloir plongé dans l'obscurité mène à une autre salle. De part et d’autre, des portes, on devine que ce sont les chambres. Au bout du couloir, on arrive dans la pièce à vivre, au milieu de laquelle brûle un feu. Dans un coin, deux femmes sont en train de fabriquer des colliers traditionnels pour vendre aux visiteurs. Il fait sombre malgré la présence d'une fenêtre. Un monsieur est assis à côté du feu. On nous invite à nous asseoir sur les tabourets traditionnels tressés. À ce moment-là, nous n’avions pas encore compris que le Monsieur est le chef des chefs. La quarantaine, il est habillé en survêtement. Pas de bijou ou autre signe distinctif qui aurait pu nous mettre la puce à l'oreille... Sur le feu, une théière chauffe. La fumée englobe une étonnante structure pyramidale inversée faite de bambou qui est suspendue au-dessus. On nous explique que dans la région, dans un but de conservation, les habitants ont l’habitude de tout faire fumer : nourriture, paniers en bambou… Cette structure à plusieurs étages permet d'entreposer ou de suspendre tous ces objets. On comprend mieux alors la couleur des murs et plafonds : ils sont noirs de suie.

Les crânes de Mithun

Fabrication de colliers traditionnels

La pyramide inversée qui sert à la fumaison

Différents objets accrochés au mur

L'armurier

Nous prenons congé, et nous rendons ensuite visite à l’armurier, qui occupe une maison un peu plus loin. Les Naga, en dignes guerriers, sont adeptes d'armes. Dans tous les villages que nous avons visités, il y avait donc un armurier, dont le travail est de fabriquer aussi bien des armes blanches que des fusils.

À l’intérieur, comme dans toutes les maisons que nous visiterons, il fait très sombre, pas d’ampoules, pas d’électricité. Un feu brûle, avec au-dessus la traditionnelle pyramide de bambou. Le sol est en terre battue. Très peu de mobilier, une table basse ronde, un banc sur lequel un monsieur est assis et toujours les mêmes tabourets en bambou qu’on nous tend pour s’asseoir.

Au fond de la maison, une porte donne sur la vallée, qui apporte un peu de lumière à l’armurier qui est en train de préparer une machette, assis sur son tabouret. Il semble avoir la cinquantaine, un chapeau sur la tête, des lunettes. Un troisième homme est là, un autre chasseur tatoué au visage, pieds nus, en short avec une vieille parka. Son nom est Wangcha. Il a les cheveux blancs, presque blonds par endroits, longs à l’arrière et attachés en chignon, avec une frange courte sur son front. Automatiquement, il rapproche son tabouret de moi et pose son chapeau traditionnel tressé rouge sur sa tête. Je comprends qu'il prend la pose pour la photo...

Wangcha, ancien guerrier Konyak

Vie de village

En contrebas de la guesthouse, sur un plateau, nous apercevons une église, avec à côté un grand terrain de football, deux éléments que nous retrouverons presque systématiquement dans chaque village que nous visiterons par la suite. Sur le terrain, des enfants jouent justement, avec un ballon fait de plastiques attachés entre eux. Nous nous approchons de l’église, de jeunes garçons jouent eux aussi au ballon sous le porche - le football est très populaire au Nagaland. Nous pénétrons dans le bâtiment, très grand mais vide.

Nous reprenons le chemin le long de l'église, et nous entendons des cris joyeux d'enfants qui semblent provenir d'une maison en dur. Des chaussures d'enfants sont entassées sur le pas de la porte. Nous jetons un coup d'oeil à l'intérieur, et y découvrons des dizaines d'écoliers, certains attablés sur une grande table pas très haute; d'autres assis sur le carrelage. La plupart sont penchés sur un cahier. Au milieu de ce joyeux bazar, une jeune femme, qui doit être leur institutrice. Nous réalisons que la table sur laquelle ils travaillent est en fait un énorme lit Naga, très large, décoré de têtes sur un côté. C'est d'ailleurs quasiment le seul bureau de la salle de classe.
Un peu plus loin, nous découvrons une maison traditionnelle au-dessus de laquelle flotte un drapeau du BJP, le parti du premier ministre indien. Un député apparemment. On nous invite à rentrer. La maison est quasiment vide, et sombre comme toujours. Une fois nos yeux habitués à l'obscurité, nous distinguons deux tables Naga empilées dans un coin, une autre sculptée un peu plus loin, une chaise naga également. Le sol est en terre battue, et on retrouve aussi les crânes de mitun et les gongs suspendus aux murs de bambou.

Fin de journée

Dehors, la voiture nous a rejoints. Nous nous rendons à la frontière (qui est tout près) pour profiter de la vue. Un peu plus loin, un magnifique sunset point nous attend. Le temps est couvert, mais le soleil finit par apparaître au-dessus des montagnes au loin. De là où nous sommes, nous apercevons les chemins qui serpentent en contrebas, dans la vallée. C’est la fin de la journée et les habitants rentrent de la forêt. D'en haut, on voit des petits points qui bougent en file indienne le long des sentiers. D’ailleurs, les premiers ne tardent pas à arriver à notre niveau. Les femmes ont toutes dans leur dos des paniers tressés en bambou, tout en longueur, portés à l'aide d'une bandoulière vissée au front, remplis de bois. Les hommes portent leurs fusils et leurs machettes.

Le bois, c’est la principale consommation du village, qui sert à alimenter les feux des maisons. Ils partent le matin, femmes et hommes, parfois enfants et même chiens, déjeunent sur place et rentrent le soir. On nous dit que la déforestation est un problème ici aussi, et qu'à cause de cette coupe de bois quotidienne, les villageois sont obligés d’aller toujours plus loin pour trouver des arbres à abattre. En contrebas, on entend des chants, on nous dit que ce sont les plus jeunes qui ferment la marche. L’ambiance est joyeuse, ils chantent une chanson en hindi d’un film de Bollywood.

Il fait presque nuit, le soleil se couche tôt au Nagaland. Il est 16h30, nous rentrons à notre guest house.

Rendez-vous dans un prochain article pour lire la suite de notre voyage ! En attendant, vous pouvez parcourir notre sélection de pièces authentiques du Nagaland ici :

Bumei - Fût du Nagaland nº3Bumei - Fût du NagalandLongwa - Plateau Naga à piedsWokha - Assiette sur pied du Nagaland N°8Wokha - Assiette sur pied du Nagaland N°7

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